La série qui nous parle d’un temps que les jeunes de 20 ans ne peuvent pas connaître.
Prime Video fait sensation avec sa nouvelle série française Culte créée par Matthieu Rumani et Nicolas Slomka, les scénaristes derrière les succès tels que Family Business, Les Chèvres, Les Barbares ou encore Fiasco. Cette minisérie en 6 épisodes nous plonge au cœur de l’un des plus grands phénomènes médiatiques du début des années 2000 et qui a révolutionné le paysage télévisuel français : l’avènement de la télé-réalité avec le programme emblématique Loft Story.
(Très) inspirés de faits réels
Cette série nous plonge en 2001, une année charnière durant laquelle le franc côtoyait l’euro, où la fumée des cigarettes dansait encore dans les bars et les discothèques au rythme entraînant de Trackin’ de Billy Crawford. C’est dans ce contexte que Philippe et Raphaël, associés de la société de production PPP en grande difficulté financière, tentent un coup d’éclat pour se démarquer.
Ils osent le pari audacieux d’adapter Big Brother en France, un concept révolutionnaire qui fait déjà fureur aux Pays-Bas. Le principe est simple, mais novateur : filmer 24 h/24 un groupe de personnes partageant le même toit, laissant les téléspectateurs observer leur vie en communauté et voter chaque semaine pour éliminer un candidat. Une première dans l’hexagone !
Alors que M6 et TF1 hésitent, c’est la jeune et ambitieuse Isabelle De Rochechouart qui donne une nouvelle orientation au projet. Elle propose de transformer le concept en une sorte de « sitcom-réalité » axée sur la quête de l’amour, rendant ainsi le programme plus attrayant pour le public français, et surtout pour les patrons des deux chaînes concurrentes.
La série nous offre alors un regard inédit sur les coulisses de ce qui allait devenir un phénomène télévisuel et nous permet de découvrir ce que nous n’avions pas pu voir sur l’écran cathodique du salon (pour les plus jeunes, je vous invite à checker de quoi il s’agit sur Google). Le scénario présente l’évolution des personnages et les stratégies des producteurs. Et un focus particulier est mis sur Loana, celle qui deviendra l’icône incontestée de cette première émission de télé-réalité en France.
Un acting de qualité
L’intrigue maintient le suspense à chaque fin d’épisode, incitant à poursuivre le visionnage quitte à se coucher tard le soir « exceptionnellement » (et mettre 3 semaines à s’en remettre). Les décors réalistes et la bande-son contribuent à recréer l’atmosphère de l’époque, que ce soit avec un extrait de Hasta la vista de MC Solaar ou avec le doux rappel des sonneries du Nokia 3310 (aussi populaire à l’époque que l’est désormais l’iPhone).
Mais plus que tout, la force de cette série réside dans son casting qui se distingue par la qualité de ses performances. Cependant, on ne va pas se mentir, deux actrices en particulier crèvent l’écran ! Tout d’abord, Anaïde Rozam, habilement présentée par Prime Video dans la saison 4 de son programme LOL, qui rit sort !, interprète Isabelle (Alexia Laroche-Joubert). Sa performance capture l’énergie et la détermination du personnage, rappelant la célèbre productrice de la Star Academy jusqu’à ses mimiques et le timbre de sa voix. Elle force autant l’admiration que l’agacement. Indéniablement, j’ai aussi été captivée par la performance de Marie Colomb dans le rôle de Loana. Sa ressemblance, tant physique que comportementale, est saisissante. De l’accent à la douceur de sa voix, en passant par son attitude, elle incarne Loana avec une justesse remarquable. Son interprétation touchante rend un véritable hommage à l’icône de Loft Story.
Télé-réalité et sexisme : l’héritage douloureux de Loana
Le portrait de Loana dans la série évoque brièvement les maltraitances intrafamiliales et son enfant confié aux services de la DDASS, mais aborde peu la violence extérieure et celle au sein même de la production de Loft Story. Bimbo, cagole, vulgaire, blondasse, Cosette, refaite, fille facile : voici quelques exemples de termes dont Loana a pu être qualifiée. Elle a été attaquée sur son corps, son apparence, ses goûts, sa sexualité, son passé, ses choix de vie, ses choix en tant que femme, sa liberté.
En 2001, quand elle fait son entrée sur nos écrans et sur la scène publique, nous sommes encore loin de #MeToo et des remises en question du patriarcat qui en ont découlé. Loana est alors au centre de tout, mais surtout au centre du sexisme et de la misogynie ambiante. Rappelons qu’à l’époque, Ségolène Royal accusait l’émission de « proxénétisme ».
La télé-réalité et ce qu’elle véhicule en termes de discrimination de genre constituent un véritable angle mort, tant médiatique que militant et universitaire. Boudée, conspuée, reniée, le genre réalise pourtant les plus grandes audiences du paysage audiovisuel français, sans compter les replay et le streaming.
Aujourd’hui, Loana s’incarne dans d’autres personnes et personnages à la télé et, peu importe leur prénom, ces femmes sont les porteuses des mêmes stigmates. Loana a été épinglée comme modèle sur des bases aussi discriminantes que sensationnalistes. On aimerait se rassurer en invoquant l’argument de l’époque, se dire que si c’était maintenant, Loana pourrait être une figure du féminisme. Mais on attrape le col des candidates actuelles pour les strictes mêmes raisons que Loana et l’histoire se répète inlassablement.
L’impact de Loft Story sur la télé-réalité
Il est crucial de rappeler l’impact révolutionnaire de Loft Story sur le paysage télévisuel français. Pour ceux trop jeunes pour s’en souvenir, ou pas encore nés à l’époque, il est difficile d’imaginer à quel point cette émission et le concept même de télé-réalité ont suscité la controverse. C’était réellement du jamais vu. Rapidement étiquetée « télé-poubelle », la télé-réalité est pourtant devenue le genre le plus populaire, donnant naissance à des concepts de plus en plus audacieux, pour ne pas dire questionnables…
La série jongle habilement entre fiction et réalité, offrant une relecture des moments culte de la télé-réalité. Elle apporte un éclairage nouveau sur ces émissions et leur impact sociétal. Les dérives du genre sont brillamment illustrées : d’un côté, les personnages d’Isabelle et Raphaël, presque déshumanisés par leurs ambitions démesurées, de l’autre, les grands patrons de M6 et TF1, initialement réticents à l’idée d’une télé-réalité « abrutissante », mais vite séduits par l’explosion des audiences. Le personnage de Karim, magistralement interprété par Sami Outalbali, incarne quant à lui la dérive des fans obsessionnels. Il illustre parfaitement cette illusion de proximité créée par le fait de suivre des candidats filmés 24/7, une intimité factice mais ô combien addictive.
En bref, j’ai adoré. Tant pour la nostalgie et les questionnements que la série a suscité en moi que pour son aspect divertissant. Une direction artistique difficilement critiquable et des acteurs offrant une performance sans faille. C’est un sans-faute pour Culte !
Cécile est la chroniqueuse spécialisée dans le cinéma et les séries pour Cornée mag. Quand elle fait une pause sur sa série du moment, elle est conseillère funéraire. Ancienne standardiste, co-animatrice et assistante d’antenne pour des émissions de radios nationales, elle est désormais lancée dans des projets d’écriture et de podcast sur le cinéma.
Isabelle est la chroniqueuse spécialisée dans la pop culture féministe pour Cornée mag. Conceptrice-rédactrice et serial storyteller la journée, elle troque son costume de brand experte le soir pour faire la lecture à son chat. Quand les essais socio-politico-philosophiques lui font défaut, elle se blottit devant une série documentaire true-crime histoire de se détendre les coussinets.
TikTok : @studiomarscontent | Instagram : @studiomarscontent
Et toi, est-ce que tu as regardé la série Culte ?
Oui, c'était super !
Non, mais je suis intrigué·e à présent !
Comments