Pour son premier ouvrage rédigé en écriture inclusive Résister à la culpabilisation : Sur quelques empêchements d’exister, Mona Chollet nous plonge dans les abysses de la culpabilisation dont les femmes et les personnes qui se genrent au féminin sont les premières victimes.
Si tu ne vois pas comment le sentiment de culpabilité peut s’immiscer dans toutes les cellules de ton corps, voici quelques mots qui résonneront peut-être en toi : doute, imposture, sabotage, peur, jugement, empêchement, disqualification, renoncement, illégitimité.
Pourquoi en vient-on à penser que, malgré tous les subterfuges mis en place pour contourner cette culpabilité (ou le mot que tu veux dans la liste), il faudrait être redevable ? Comment peut-on en venir à douter de sa propre légitimité à exister ?
Mona Chollet nous emmène à la rencontre de notre ennemi intérieur ou ennemi intériorisé. Il nous parle, nous parle mal, nous guide, nous malmène. Cette petite ou cette grosse voix qui nous juge, tu ne l’entends pas ? Pour la dépasser et donc la comprendre, l’autrice nous invite à zoomer sur plusieurs endroits : les centres névralgiques de sa construction et les mécanismes de ses opérations.
Mona, essayiste ou sorcière
Qui est-elle ? Une sorcière, une journaliste, une essayiste, une rêveuse, ou bien tout ça à la fois ? Mona Chollet dirige ses travaux de recherche et d’écriture vers des sujets comme la condition féminine, le féminisme, les médias, la place des femmes dans la société.
Elle a écrit plusieurs essais aux éditions La Découverte dans la collection « Zones » : Réinventer l’amour : Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles (2021), Sorcières : La puissance invaincue des femmes (2018), Chez soi : Une odyssée de l’espace domestique (2015) et Beauté fatale : Les nouveaux visages d’une aliénation féminine (2012).
Dans Sorcières : La puissance invaincue des femmes, elle fait un parallèle entre la chasse aux sorcières et la misogynie qui prend racine (entre autres) dans la querelle des femmes. Ce concept historiographique (XVe-XXe siècle en France et en Europe), qui polémique autour de l’infériorité supposée de ces dernières, est à nouveau développé aujourd’hui dans son essai sur la culpabilisation. D’ailleurs, assez attendu ! Rentrons vite dans le cœur du sujet.
Résister à la culpabilisation
Le livre s’articule en plusieurs chapitres traitant chacun d’un angle abordant les manifestations de la culpabilisation : la femme, l’enfant, la mère, le ou la travailleur·euse, la figure féministe.
Le poids de la culpabilisation sur les femmes
Mona Chollet revient sur les origines ou explications qui pourraient nous aider à comprendre d’où vient cette foutue culpabilité (émanant d’un discours misogyne ancré dans l’Histoire). En dehors de la figure de la pécheresse (Ève, par exemple, symbole de la femme – déjà – de mauvaise vertu), il existe des mythes fondateurs qui reflètent, eux aussi, la misogynie des sociétés qui les ont produits. Pour les Grecs, par exemple, la femme était un cadeau empoisonné destiné à punir les hommes.
On peut facilement imaginer que, sous le poids de toutes ces constructions religieuses, sociales, mythologiques et historiques, le discours misogyne oppresse un chouia et altère notre vision de nous-mêmes en tant que femmes. Les représentations des femmes dans le temps ont construit la puissante misogynie ordinaire qui pousse à la culpabilisation, qu’elle soit imposée par les autres ou par nous-mêmes, via des mécanismes oppressifs intériorisés (l’ennemi intérieur).
La culpabilisation s’abat également sur les enfants depuis leur plus jeune âge. Avec la culture de la punition vient la culture de l’humiliation, et donc de la culpabilisation. Cela s’applique tant aux enfants qu’aux mères, car comme l’écrit si bien Mona Chollet, « mères et enfants peuvent facilement se retrouver à baigner dans la même ambiance terrorisante et punitive ».
Mona Chollet nous rappelle également qu’être mère s’accompagne, dans l’inconscient collectif, de l’asservissement, de la condamnation des désirs personnels d’épanouissement ou d’autonomie. Dans cette injustice genrée, l’hyperresponsabilité des mères se confronte au statut du bon père de famille, par essence respectable. Bah voyons, on n’est plus à une injustice près !
La conception punitive du travail est également abordée. La culture de la punition se retrouve dans le cadre du travail. Et les plus touché·es par le phénomène de surmenage (grind culture) sont les dominé·es et, plus particulièrement, les femmes racisées et les minorités de genre.
Quelques regrets à la lecture
Par moments, j’ai eu le sentiment de lire le journal de quelqu’un qui compile ses pensées ou ses intuitions pour en faire des vérités. Par moments, j’ai eu l’impression de lire un assemblage d’extraits d’autres ouvrages. Par moments, j’ai cru entendre ma tante me faire de la psychologie de comptoir. Par moments, j’ai trouvé que les propos excluaient certaines femmes, celles qui ne seraient pas issues d’une culture judéo-chrétienne, par exemple. Bref, par moments, j’ai soufflé et observé quelques déceptions. Mais loin de moi l’idée de faire naître une quelconque culpabilisation ! Je préfère conclure sur les apports importants que cet essai nous offre.
Basta la petite voix !
Tous ces fils de pensée nous conduisent à cette conclusion : les femmes sont éduquées à se montrer humbles et modesteset toute sortie de route est sanctionnée ou blâmée. Et avec ça, il va falloir faire sa vie en étant irréprochable (impossible) sous peine d’avoir honte de rater quelque chose (inévitable) et d’en subir les conséquences (sanction). La culpabilisation devient intrinsèque à la condition féminine.
Ce qui est certain et ce qu’on retiendra de cet essai, c’est bien la preuve, s’il en faut encore une, que nos vies intimes sont éminemment politiques. Cette petite voix qui nous ronge, elle s’entend de manière collective et mérite d’être démystifiée collectivement par des études sociologiques et politiques. Il n’y aura jamais assez de personnes pour le dire et nous aider à sortir d’un marasme personnel et individuel vécu et traversé par tant de personnes qui nous ressemblent.
Isabelle est la chroniqueuse spécialisée dans la pop culture féministe pour Cornée mag. Conceptrice-rédactrice et serial storyteller la journée, elle troque son costume de brand experte le soir pour faire la lecture à son chat. Quand les essais socio-politico-philosophiques lui font défaut, elle se blottit devant une série documentaire true-crime histoire de se détendre les coussinets.
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