Le dernier roman de Catherine Dufour : la Lune pour horizon ?
- Isabelle, chroniqueuse pop culture féministe
- 4 déc. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 janv.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Catherine Dufour, pas de panique : il est encore temps pour vous de la découvrir ! Pour moi aussi c’est une première. Ça veut dire que je suis passée à côté d’une romancière de fantasy et de science-fiction et pas moins d’une quarantaine de récits. Voilà de quoi faire une belle liste aux petits lutins de Noël et de garantir une PAL aussi monumentale que le talent de cette écrivaine !
Catherine Dufour ne se contente pas de cumuler les prix pour ses ouvrages, elle a aussi un job. Ingénieure, elle fabrique des bibliothèques numériques. Elle rédige également des chroniques dans le Monde Diplomatique et est engagée politiquement auprès d’associations comme Act Up-Paris (lutte contre le sida), Nuit debout (mouvement social pour la convergence des luttes), ou Ras l’front (contre l’extrême droite) quand elle était plus jeune. Ah oui, elle a aussi cofondé le collectif Zanzibar avec d’autres auteur·rices de science-fiction pour « désincarcérer » le futur.

Avec son nouveau roman de science-fiction Les Champs de la lune, paru aux éditions Robert Laffont dans la collection « Ailleurs et Demain », nous voilà embarqué·es sur la Lune en 2324. Accompagné·es par l’héroïne du livre El-Jarline et son fidèle chat Trym, nous sommes invité·es à vivre au rythme de la ferme Lalande dont elle s’occupe.
Catherine Dufour : la science-fiction, un miroir politique
Pour Catherine Dufour, la science-fiction n’est pas un simple genre littéraire. Elle est une arme politique, une machine à réfléchir. « La science-fiction, explique-t-elle, s’inscrit dans un monde avec ses relations, ses cités et ses habitus. » Traduction : chaque dystopie, chaque planète colonisée est une critique ou un avertissement sur notre réalité.
Parmi ses œuvres majeures, Blanche-Neige et les lance-missiles raconte la suite de nos contes de fées préférés – récit dans lequel elle a mis tout son « anticapitalisme sauvage et sa haine du prince charmant ». Le Goût de l’immortalité (prix Bob Morane, prix Rosny aîné, Grand Prix de l’Imaginaire) est selon elle, une SF calibrée pour un public masculin : violence, sexe débridé et zéro sentimentalisme. Un clin d’œil cynique à la manière dont on cantonne encore trop souvent les femmes écrivaines aux récits « émotionnels ». Elle nous offre également Ada ou la beauté des nombres, un roman qui retrace la vie d’Ada Lovelace, fille de Lord Byron qui écrira le premier programme informatique au monde, ou encore l’essai Guide des métiers pour les petites filles qui ne veulent pas finir princesse.
Peut-être que son élan vers des incarnations féminines, étranges, fortes, indépendantes, sarcastiques et parfois même violentes, est une réaction instinctive à son aversion pour les récits misogynes. Ses personnages féminins sont des éclats d’émancipation dans un univers littéraire qui peine encore à passer le test de Bechdel (test qui permet de mettre en évidence la sous-représentation des personnages féminins dans une œuvre fictionnelle).
Pour te faire une idée, je t’invite à lire les publications qu’elle fait sur son site Internet parsemé de petits commentaires brillants et hilarants.
Une nouvelle utopie lunaire
Les Champs de la lune
Avec son dernier roman Les Champs de la lune, Catherine Dufour nous propulse là où peu d’auteur·rices s’aventurent : sur la Lune, planète morte, mais pleine de promesses. Ce livre, fruit de quatre ans de recherches minutieuses, est à la croisée des genres : science-fiction pure, écologie militante et réflexion sur l’humanité.

Dans cet univers, la Lune est colonisée, mais pas de la manière dont Elon Musk en rêve. Ici, les cités lunaires abritent 100 000 âmes, dans un équilibre précaire entre utopie et dystopie. Les habitants doivent s’adapter à des conditions extrêmes : pertes musculaires, troubles neurologiques et même la « fièvre aspic », une maladie qui semble tout droit sortie d’un film d’anticipation apocalyptique.
Au cœur de cette fresque lunaire, une héroïne fascinante, fermière et neuropathique, secondée par un chat qui parle, Trym, incarnation d’une conscience émotionnelle décalée. Car, oui, si les chats refusent les tests de langage actuellement sur notre planète Terre, dans ce récit, ils deviennent les véritables philosophes de l’espace.
Et comme toujours chez Catherine Dufour, rien n’est laissé au hasard. L’autrice a inventé un lexique horticole lunaire, exploré les expériences orbitales sur la faune et la flore, et interrogé le rôle des robots dans une société humaine. Si les humains sont contraints de s’assagir pour survivre, les machines, elles, s’affranchissent peu à peu de leurs contraintes, dans un ballet fascinant entre ordre et chaos.
Une fable pour aujourd’hui et demain
Les Champs de la lune est bien plus qu’un roman de science-fiction. C’est une réflexion mordante sur notre incapacité à penser au-delà du présent, à envisager une véritable alternative. Catherine Dufour, toujours lucide, rappelle qu’il n’y a pas de « planète B ». Et si l’utopie lunaire qu’elle dessine semble séduisante, elle est aussi profondément mortifère : peut-on réellement vivre dans une société « parfaite » ?
En un sens, Catherine Dufour est une exploratrice. Ses récits, ancrés dans l’imaginaire mais irrigués par le réel, sont autant de voyages au cœur de nos contradictions. Derrière ses personnages, ses sarcasmes et ses utopies bancales se dessine une constante : une quête d’émancipation, féminine et universelle. Entre la Terre et la Lune, Catherine Dufour nous rappelle que l’humanité, si imparfaite soit-elle, reste notre plus belle œuvre en chantier.
Isabelle est conceptrice-rédactrice et serial storyteller. Pour Cornée mag, elle est la chroniqueuse spécialisée dans la pop culture féministe. Le soir, elle troque son costume de brand experte pour faire la lecture à son chat. Quand les essais socio-politico-philosophiques lui font défaut, elle se blottit devant une série documentaire true-crime histoire de se détendre les coussinets.
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Penses-tu qu’un jour l’humanité colonisera la Lune ?
Oui, c’est inévitable.
Non, trop de défis à relever.
Je n'ai qu'une envie désormais : lire ce livre !